Chère Sophie, tu es née en 2014 : l’année même où parut le premier livre des aventures de Gougou, Gougou et l’étoile filante. Tes parents sont iraniens, mais toi, tu es née à Montréal.
Quand as-tu commencé à lire des livres de Gougou ? Nous ne le savons pas, mais tôt déjà, tu as aimé regarder les images, même sans savoir lire, ni même pouvoir parler.
Le 27 mai 2016, une grande librairie de Téhéran, Shahr-e Ketab, organisa une présentation des livres de Gougou. Tout le monde était là : l’éditeur, l’auteur des textes, la traductrice persane, certains de leurs amis, et bien d’autres personnes encore. Et tu étais là, aussi, Sophie, avec tes parents, tes grands-parents, si heureuse que tu répétais sans cesse le nom de Gougou, à voix haute ; tellement, d’ailleurs, que ta maman dut sortir un moment avec toi.
Puis tu es partie avec tes parents vivre au Canada, revenant de temps en temps en Iran. En décembre 2019, tu revins avec ta maman à Téhéran, voir ta famille et tes amis. Ton papa était resté à Toronto, mais tu devais bientôt le revoir. On te fit parvenir les trois dernières aventures de Gougou et Gouguette – l’enquête policière, la soirée à l’opéra, le grand voyage en train.
Tu passas des moments heureux, puis le jour du départ arriva. Juste avant, tu fis trois dessins : des personnages joyeux sous un ciel bleu et l’avion que tu imaginais prendre.
Dans la nuit du mercredi 8 janvier 2020, tu partis pour l’aéroport. Ta maman, bien sûr, était du voyage, et également son frère et sa jeune épouse. Beaucoup vous accompagnèrent au terminal. Les cœurs étaient serrés, comme dans tout départ.
Ton vol était prévu à 5h15 du matin, mais il y eut une heure de retard. Tu avais pris les livres de Gougou. Les avais-tu avec toi pour lire pendant ce long voyage, ou les avais-tu confiés au bagage enregistré en soute pour les retrouver à l’arrivée, chez toi ?
L’avion, un Boeing 737, décolla enfin, à 6h12. Destination : Kiev, où tu allais prendre un autre avion pour le Canada. L’avion s’arracha de terre, prit de l’altitude. Tu étais certainement fatiguée, mais sans doute tu ne dormais pas. Où étais-tu assise dans l’avion ? Nous ne le savons pas. Comment imaginer, alors, ce que tu as entendu, ou vu, lorsqu’une explosion toucha l’avion. Ta mère a-t-elle eu le temps de te rassurer, de te prendre, de t’embrasser ? Certainement, même si tout est allé très vite. L’avion, en feu, s’écrasa. Tu avais cinq ans.
La vérité fut révélée après trois jours. Ton avion, Sophie, fut abattu par des militaires iraniens. « Par erreur », dirent-ils. Il n’y eut aucun survivant.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Heureusement.
Chère Sophie, si tu lis ce texte, ceux qui t’aiment savent que tu es bien arrivée ; que là où tu es, il n’y a que beauté et lumière ; que tu es sans doute plus grande, sans avoir perdu ton âme d’enfant ; que tu découvres tout ce que tu n’as pas eu le temps de faire sur cette terre, et tellement plus ; que tu penses à ceux restés dans la douleur, mais que tu es déjà heureuse de les revoir, là-haut.
Gougou et Gouguette n’existent que dans les livres, et ils existent surtout par les lecteurs qui les font vivre. Gougou et Gouguette ont perdu une lectrice, mais ils ont gagné un ange qui leur inspirera de la sagesse, du bonheur, des histoires, et aussi du courage quand ils le perdront, de l’espoir quand il fera noir, du réconfort quand ils seront tristes. Désormais, tu seras dans tous leurs livres : tantôt dessinée, tantôt invisible, mais toujours présente.
Chère Sophie, il y aurait tant à dire, mais j’aimerais te demander une dernière chose, puisque là où tu es, tout est possible. Te souviens-tu quand Gougou avait perdu son sourire ? Il avait rêvé de son lapin décédé, et l’avait vu si vivant qu’il avait pleuré de bonheur. Gougou, depuis, n’a plus jamais rêvé de lui, et il ne sait pas quand il le reverra. Si tu vois son lapin (tu le reconnaîtras sans peine), peux-tu lui dire que Gougou pense bien à lui et qu’il est heureux de le savoir avec toi ?
Merci Sophie. A très bientôt.
Patrick